Réfugiés: le mythe d’une France « terre d’accueil »

L’accueil de réfugiés est un devoir incombant aux États démocratiques, qui consolide concrètement le principe démocratique lui-même. Il rappelle et démontre aux citoyens de ces États que la démocratie constitue un mode de gouvernement effectivement non égalé malgré ses défauts. Car c’est bien la démocratie que les réfugiés, persécutés dans leur propre pays, cherchent à retrouver en Europe au péril de leur vies.

Notre pays n’a hélas pas été à la hauteur des principes dont il se réclame. Nos responsables politiques, dans leur grande majorité, n’ont pas su réagir ainsi qu’il convenait, perdant beaucoup de temps dans des tergiversations dont les discours et les actes des derniers mois portent la trace et perpétueront le souvenir devant l’Histoire. Cela fut vrai peut-être un peu plus à droite. Mais ce le fut aussi à gauche, assez en tout cas pour être révoltant.

 

Grandeur de l’Allemagne, misère française ?

La comparaison avec l’Allemagne, pour nous Français, est humiliante. Pendant que les dirigeants allemands, portés par un véritable enthousiasme populaire, acceptent de prendre plus que leur part de cet accueil, pendant qu’outre Rhin on accueillait presque 20 000 personnes en un week-end, les nôtres se contorsionnent toujours pour les 24 000 qu’ils devraient accueillir sur deux ans. Comme s’ils étaient, autant qu’une trop large part de notre opinion publique, effectivement perméables au populisme nationaliste distillé par le FN, mais aussi par certains segments de la droite dite « républicaine ».

En fait, les petits calculs politiciens ont prévalu sur le devoir de solidarité, bafouant un principe simplement constitutionnel (alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946, article 53-1-4 de la Constitution de 1958) : le droit d’asile. La Constitution, ces « valeurs » de la République que l’on brandit pourtant régulièrement, à temps et à contretemps, ne vaudraient donc plus grand-chose en la circonstance ? On pourrait les contourner sans scrupule ? Rappelons-nous les polémiques insensées et indignes, il y a quelques mois, sur ces fameux « quotas » de réfugiés à accueillir.

Il aura donc fallu la photo du petit Aylan Kurdi, retrouvé noyé sur une plage turque et la légitime émotion qu’elle a suscitée chez nos concitoyens, pour que notre exécutif envisage officiellement d’accueillir 24 000 réfugiés sur deux ans (un chiffre, « quota » ouvert vers le haut, du moins j’espère, bel et bien dicté par Bruxelles) et commence de regarder la réalité en face, une réalité qui se dessine pourtant depuis des mois – je n’ai pas oublié, pour ne parler que d’eux, les réfugiés de La Chapelle.

Je ne sais s’il est encore temps, pour notre exécutif, de sauver un peu son image. De sauver un honneur perdu dans les circonvolutions d’éléments de langage qui, pendant des mois, ont rappelé certaines pages peu glorieuses de l’histoire de notre pays en matière d’accueil de réfugiés. Heureusement, la société civile, elle, a su réagir. Vite et dignement. Malgré ces 56% de Français qui, selon les sondages, étaient hostiles à cet accueil (quand 66% des Allemands se prononçaient pour). La société civile, oui, a su se mobiliser avec détermination, mettant en relief l’incurie des politiciens et la misère de leurs petits calculs. Une incurie et une misère qui ajoutent une justification de plus à la mésestime dont ils pâtissent auprès de nos concitoyens. Et finalement, aujourd’hui, les Français semblent désormais majoritairement favorables à l’accueil des réfugiés.

Gestion calamiteuse des réalités humaines. Discours auto-satisfaits, depuis des mois, de notre Ministre de l’Intérieur. Crainte absurde de favoriser la montée du FN (comme s’il n’allait pas monter sans ça). Et lors de sa dernière conférence de presse, le Président Hollande n’a pas su trouver le ton juste, donner toute la solennité qu’il aurait fallu à ce qui n’est rien de plus qu’un virage de dernière minute. C’est vrai : n’est pas qui veut le Jaurès de la fin du XIXe siècle, appelant à accueillir les Arméniens fuyant les exactions turques.

Même ces derniers jours, l’Etat n’a fait que déléguer l’organisation de l’accueil aux mairies, sans avoir lui-même rien organisé, ni en terme de sécurité, ni matériellement, et encore moins financièrement – pendant que l’Allemagne débloquait 6 milliards. Calais reste toujours un point noir, et ce ne sont pas les barbelés, les 1500 tentes promises pour plus de 3000 réfugiés, les 2 minutes de plus de temps de douche qui transformeront ce campement de la misère et de la honte. Honte pour un pays comme le nôtre.

On a beaucoup glosé sur les motifs de l’Allemagne : déficit démographique, manque de main d’œuvre qualifiée, etc. On s’est aussi beaucoup réjoui de ce que l’on présente comme un revirement récent. Je crois surtout que l’Allemagne est en train de réécrire son histoire. Ayant tiré toutes les leçons de son passé nationaliste, raciste, antisémite, elle dit, par des actes et pas seulement par des discours : « plus jamais ça ! ». Elle administre à tous ses citoyens, et d’abord à tous ses jeunes, une belle leçon d’histoire. Oui, les Allemands, les jeunes Allemands, peuvent avoir confiance en un pays capable d’actes d’une telle dignité démocratique. L’histoire n’est pas seulement affaire de mémoire ou de « devoir de mémoire ». Elle impose que soient posés des actes, qui donnent du sens à l’existence d’une nation. L’Allemagne accepte en outre par là l’inflexion à venir son profil ethno-démographique. De cela aussi, je la félicite. Belle capacité à se transformer sans crainte, pendant que chez nous la peur de l’étranger continue d’être distillée dans les esprits par tant de politiciens (et pas seulement d’extrême droite). L’Allemagne a certes provisoirement rétabli les contrôles à certaines de ses frontières ? Et alors ? Croit-on vraiment qu’elle s’est rendue par là aux arguments des laudateurs d’une Europe forteresse ? Non point. Elle rappelle d’abord à ses voisins européens l’indignité de leur attitude, et tente par ce moyen et quelques autres de les faire enfin fléchir.

 

Une « tradition d’accueil » ?

La France fut certes un pays d’immigration. Entre un tiers et un quart des personnes qui vivent dans notre pays en serait issu. Reste que, pour l’essentiel, la France ne s’est montrée « accueillante » à ses immigrés qu’en période de développement industriel et de besoin de main d’œuvre. Ainsi en fut-il, par exemple, dans les années 1920, après la Première Guerre mondiale, de laquelle le pays était sorti exsangue. Les moments de recul apparaissent plutôt dans les années de crise économique (années 1930 et 1980). Ces immigrants sont d’abord des Italiens, des Espagnols, des Polonais, en fait des chrétiens (et des Européens), des hommes en âge de travailler qui font plus tard venir leurs familles ou épousent des Françaises. Et dans les années 1960-1970, vient le tour des Maghrébins, il faut des bras pour une économie en pleine expansion, ce sont les Trente Glorieuses. Ceux-là sont musulmans, à la différence de ceux qui les avaient précédés. Les Portugais, chrétiens et européens, se joignent à eux.

Voilà qui a fait de la France, incontestablement, un pays d’immigration. Certainement pas un pays d’accueil des réfugiés.

Les Arméniens fuyant les massacres dans l’Empire ottoman sont accueillis très frileusement et pas dans les meilleures conditions, mais, chrétiens, ils vont pouvoir être absorbés progressivement. Entre 1923 et 1927, ils seront regroupés dans le camp Oddo à Marseille et le camp du Grand Arénas. Prévu pour un millier de personnes, le camp Oddo en abritera quelque 3 000.

Après l’avènement de Hitler, entre 1933 et 1941, les nazis cherchent à créer une Allemagne vide de Juifs. Des centaines de milliers de Juifs cherchent à quitter le pays. Avec l’entrée des troupes allemandes en Autriche, qui prélude à l’Anschluss, quelque 185 000 Juifs autrichiens se joignent à eux. Le Président Roosevelt, sous une pression politique grandissante, demande la tenue d’une conférence internationale pour faciliter l’émigration des réfugiés d’Allemagne et d’Autriche, et pour mettre sur pied une organisation internationale qui travaillerait à une solution globale du problème. Au début du mois de juillet 1938, les délégués de 33 pays se réunissent au bord du lac de Genève, à Évian. La France, comme la plupart des États conviés, y compris les États-Unis et la Grande Bretagne, et à l’exception de la République dominicaine, invoquent diverses raisons, notamment économiques, pour ne pas accepter davantage de réfugiés. On connaît la suite. Beaucoup finiront dans les camps de la mort.

En 1939, l’arrivée massive des Républicains espagnols, quelque 500 000 à la suite de la prise de la Catalogne par les troupes franquistes, ne se passe guère mieux. Le gouvernement français, à majorité radicale socialiste de Daladier, dans un climat de xénophobie, n’a pas su préparer leur accueil et a géré cet exode sous un mode sécuritaire. Environ 275 000 sont internés dans des camps improvisés, aménagés par les prisonniers eux-mêmes. Le premier de ces camps est Argelès que le photographe Capa décrivait comme « un enfer sur le sable » (il ressemblait sans doute à notre Calais actuel). Les Républicains sont parqués sur la plage même, le camp est entouré de barbelés. Deux autres camps se trouvent à proximité, à Saint-Cyprien et à Barcarès. On incite les internés à rentrer chez eux ou à s’engager dans la Légion étrangère. Pas de baraquements, pas de latrines, pas de cuisine, pas d’infirmerie. Partout sévit la dysenterie. Ces camps serviront plus tard au gouvernement de Vichy, qui y enfermera des résistants, des Juifs, des gitans. En 1940, Vichy « cède » une partie des Républicains espagnols aux Nazis qui ont besoin de main d’œuvre. On incite les internés à rentrer chez eux ou à s’engager dans la Légion étrangère. On en déporte une partie en Allemagne, vers les camps comme Dachau, Buchenwald et Mauthausen, où environ 7 000 vont périr.

La décolonisation apportera son lot de rapatriés : Français d’Indochine dès 1954, Français d’Algérie ensuite. Harkis, enfin, ces Algériens qui s’étaient rangés du côté de la France pendant la guerre d’Indépendance, et qui risquaient des représailles de la part du FLN. Entre 1962 et 1969, quelque 40 000 harkis avec leurs familles sont logés dans des baraquements de camps militaires, ayant autrefois servi pour d’autres populations. Un provisoire qui va durer vingt ans, dans des conditions indignes. Les rapatriés, eux, connaîtront eux une intégration autrement plus facile.

Dès septembre 1973, 15.000 Chiliens arrivent en France. Ils fuient le pays à la suite du renversement de Salvador Allende par une junte militaire. Le prestige de l’Unité populaire d’Allende auprès de la gauche post-68 et la médiatisation des événements ont favorisé un accueil dans plutôt de bonnes conditions de cette population urbaine, éduquée, arrivée en famille (et chrétienne par ailleurs).

A partir de 1975, des milliers de Vietnamiens et de Cambodgiens fuient le communisme. La France en accueille un bon nombre. C’est la guerre froide. Les accueillir revient à livrer sa part de combat contre le communisme. Leur religion, considérée comme une « philosophie », ne fait pas peur. Et certains grands intellectuels, Sartre, Aron, savent encore donner de la voix.

 

Je cherche la France. Où est l’Europe ?

Difficile de parler d’une France « terre d’accueil ». L’accueil fut souvent hésitant. Et différencié selon l’histoire, la religion, la perception des populations accueillies. Les lenteurs, la désorganisation ainsi que les craintes qui ont marqué, ces derniers mois, la gestion des flux de réfugiés actuels s’inscrit dans l’exact prolongement de cette histoire. Elles sont elles aussi liées à la provenance, à la religion et à la couleur de peau des demandeurs d’asile : majoritairement musulmans, issus du Moyen-Orient et d’Afrique. Le contexte français d’islamophobie rampante ou déclarée, la confusion entretenue entre « musulmans » et terrorisme ne sont évidemment pas étrangers à l’attentisme de l’exécutif, et à sa piètre gestion de cet épineux dossier.

La France, la France dont j’ai rêvé, là-bas, avant de la rejoindre, lorsque j’étais encore sur le sol de cet Orient où je suis née, la France, voici des mois que je la cherche. La France qu’on nous dit « éternelle », solidaire, humaniste, capable d’accueillir indistinctement des hommes, des femmes et des enfants fuyant la guerre et la persécution, cette France-là, voici des mois-que je la cherche. Et je l’ai trouvée, sur le terrain, dans la rue, auprès des associations, auprès de ces citoyennes et de ces citoyens qui se sont mis tout de suite au travail.

Vais-je la trouver enfin, cette France-là, au plus haut sommet de l’État ?

Quant à l’Europe, celle des droits humains, je ne la cherche plus, hélas.

 

Esther BENBASSA

 

Source : Vu du Sénat # 71

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