Le jour où les abeilles disparaîtront…
« Le jour où les abeilles disparaîtront, l’homme n’aura plus que quatre ans à vivre ; plus d’abeilles, plus de plantes, plus d’animaux, plus d’humains ».
Cette citation attribuée à Albert Einstein, depuis les années 1980 fait souvent débat au prétexte que le scientifique n’avait « aucune expertise particulière ou même intérêt dans l’écologie, l’entomologie ou les abeilles » pour avoir pu l’initier alors qu’il l’a bien fait. Et même à deux reprises avant que ses propos ne soient « synthétisés » et validés sous forme de cette formule philosophique.
La première nous est relatée par William Hermanns qui passa 34 ans de sa vie aux côtés d’Einstein, dans son livre mémoire « Einstein and the Poet: In Search of the Cosmic Man ». La seconde dans un article écrit par Albert Einstein lui-même en 1949 dans la Monthly review de Mai (N°1).
En cette période trouble où resurgissent des relents de racisme, de xénophobie et d’antisémitisme, il n’est peut-être pas inutile de se replonger dans ces écrits en relisant d’abord l’entretien de 1930.
Le contexte : Hermanns et Einstein, viennent d’évoquer l’approche des sciences de Max Weber, quand le premier interpelle Einstein sur le fait que Poincaré l’aurait comparé à un homme « plus grand que Copernic », ce qu’il décline modestement.
Puis est abordée la question des droits de l’Homme, les deux étant membres actifs de la Ligue éponyme : le sujet d’Hitler vient sur la table.
Les citations d’Einstein :
« Cet homme ne m’intéresse pas, je suis socialiste et je préfère apprendre à la jeunesse à bien se soigner et à se construire intellectuellement dans leur diversité que de se laisser endoctriner par cet homme de fer, (…) car si cet homme devait arriver au pouvoir, ce serait le début de la mise en esclavage de la liberté individuelle ».
« Si ma théorie (de la relativité) est bonne, les allemands me considéreront comme un bon allemand, les français comme un bon européen, et si elle est mauvaise, les allemands diront de moi que je suis un juif, et les français que je suis un allemand, mais de fait je m’en moque, je suis un scientifique qui avant tout s’adresse à des étudiants ».
« La science n’est jamais finie, car l’homme n’utilise qu’une infime partie de son cerveau, alors que souvent en ne faisant que regarder à travers la fenêtre l’essentiel n’est rationnellement pas visible, malgré la lumière, alors que tout est si simple si on se laisse traverser par elle ; (…) j’aime expliquer les choses simplement à mes étudiants ».
« Si l’on regarde ces trois arbres, chacun peut comprendre que leurs racines sont leur source de vie, car plongeant dans la terre pour atteindre l’eau. Ou que cette fleur dégage son odeur pour attirer l’abeille pollinisatrice. Et que ce sont là les forces créatrices du monde que l’on appelle parfois Dieu (…) Or ce n’est pas ce que le livre nous enseigne ».
« Il y a une forte déconnexion du monde avec les réalités, alors que c’est l’observation qui est source de toute expérience. (…) Découvrir en laboratoire comment fonctionne la nature, fera qu’un jour peut-être on remplacera l’herbe par du gazon synthétique, sachant que se faisant, vous pourriez aussi faire disparaître toute vie sur terre, et emporter en quatre jours la moitié de la planète avec vous ».
Einstein évoquant d’une façon générale le risque d’une utilisation malveillance des connaissances de l’homme avant de conclure : « Parfois une formule empirique résume mieux les risques que nous faisons courir au monde, (…) au-delà des formules mathématiques, il est important d’ouvrir son sésame à la perception des choses à l’intuition, que consiste cette ligne qui à la verticale, va de la terre au ciel».
Passons maintenant à son essai intitulé «Pourquoi le socialisme» de 1949 où il écrit cette fois sur le risque réel du dépérissement de la civilisation au regard de la finalité de la science :
« Depuis le début de la période dite civilisée de l’histoire humaine, on le sait : la vie a été largement affectée et contrainte par des éléments qui, en aucun cas, ne sont seulement de nature économique. (…) Mais la tradition historique est encore, si l’on peut dire, celle d’hier. Nous n’avons nulle part surmonté ce que Thornstein Veblen a appelé « la phase de prédation » du développement humain ».
« La science ne peut créer des finalités et, encore moins, les inoculer dans les êtres humains ; la science peut, tout au plus, fournir les moyens par lesquels atteindre certaines finalités ».
(…) « Pour ces raisons, nous devrions être sur nos gardes et ne pas surestimer la science et les méthodes scientifiques quand il est question de problèmes humains ; et nous ne devrions pas supposer que les experts sont les seuls à avoir le droit de s’exprimer sur des questions relevant de l’organisation du monde ».
« Depuis quelque temps maintenant, de nombreuses voix soutiennent que la société humaine traverse une crise et que sa stabilité a dangereusement volé en éclats.».
« Pour illustrer mon propos, laissez-moi raconter une expérience personnelle. J’ai récemment discuté, avec un homme intelligent et bien intentionné, de la menace d’une nouvelle guerre qui, à mon avis, mettrait sérieusement en péril l’existence de l’humanité ; j’ai fait la remarque que seule une organisation supranationale pourrait fournir une protection contre un tel danger. (…) bien que je sois parfaitement conscient du fait que nos sentiments et nos efforts sont souvent contradictoires et obscurs».
(…) « C’est la « société » qui fournit à l’homme nourriture, langage, formes de pensée et l’essentiel du contenu de la pensée. ( …) Il est évident que la dépendance de l’individu vis-à-vis de la société est un état de la nature qui ne peut être aboli, tout comme dans le cas des fourmis et des abeilles. Cependant, tandis que le déroulement de la vie des fourmis et des abeilles est programmé jusque dans son plus petit détail par de rigides instincts héréditaires, le modèle social et les inter Relations entre les êtres humains sont très variables et susceptibles de changer ».
(…) « Les êtres humains ne sont pas condamnés, du fait de leur constitution biologique, à s’anéantir entre eux ou à se retrouver à la merci d’un destin cruel qu’ils s’infligeraient à eux-mêmes ».
« L’individu est devenu plus que jamais conscient de sa dépendance vis-à-vis de la société. Mais il ne vit pas cette dépendance comme un atout, comme un lien organique, comme une force protectrice mais plutôt comme une menace à ses droits naturels, ou même à son existence économique. Tous les êtres humains, quelle que soit leur position dans la société, souffrent de ce processus de détérioration qui peut être rapide »
« Je suis convaincu qu’il n’y a qu’une seule façon d’éliminer ces maux dangereux, à savoir par la mise en place d’une économie socialiste, accompagnée d’un système éducatif tourné vers des objectifs sociaux ».
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