Programme de stabilité : un vote « contre »
Lors de la présentation du programme de stabilité par le Premier ministre Manuel Valls, Laurence Abeille, comme une grande partie du groupe écologiste, a voté « contre ». Eva Sas, députée écologiste de l’Essonne, s’est exprimée au nom du groupe écologiste pour expliquer ce vote.
Ci-dessous, l’explication de vote :
» Mme Eva Sas. Monsieur le Premier ministre, chers collègues, le 30 mars dernier, les Français nous ont adressé un message. La question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : ce message a-t-il été entendu ? Les écologistes n’en ont pas l’impression.
Vous nous proposez, monsieur le Premier ministre, une trajectoire de réduction des déficits qui maintient l’objectif de 3 % en 2015, qui maintient le plan d’économies de 50 milliards sur trois ans et qui maintient les mesures d’allégement de la contribution des entreprises à la protection sociale.
Ces propositions prolongent, voire accélèrent la politique que les Français ont pourtant massivement rejeté le 30 mars dernier. Les écologistes, parce qu’ils attendaient, comme les Français, une inflexion de la politique gouvernementale ne pourront vous suivre sur ce chemin.
De ce programme de stabilité, nous questionnons d’abord le rythme de réduction des déficits. D’abord parce qu’un effort sans précédent a déjà été fait, et que ses conséquences sur l’emploi ont déjà été et seront plus encore demain négatives.
Les écologistes ne sous-estiment pas les risques liés à la dette et la nécessité de garantir des taux d’intérêt faibles alors que nous empruntons 174 milliards par an et que la charge de la dette est le deuxième poste de dépenses de l’État avec 45 milliards d’euros. Des réponses ont toutefois déjà été apportées : d’abord, grâce à l’évolution de la position de la BCE et la mise en place du Mécanisme européen de stabilité qui garantissent de fait aujourd’hui la dette des États ; ensuite, par la réduction de notre déficit structurel de 4,2 points sur la période 2010-2013, effort sans précédent dont l’impact estimé sur le chômage aura été de 3 points.
Aujourd’hui, 3,6 millions de personnes sont sans emploi avec les conséquences que l’on sait pour leurs familles. Notre priorité commune aujourd’hui, ce doit être l’emploi. Or le Haut conseil des finances publiques lui-même souligne que l’effet attendu du pacte de responsabilité sur l’emploi pourrait ne pas suffire à compenser l’impact négatif de la consolidation budgétaire. Un assouplissement du rythme de réduction des déficits nous apparaît, de ce fait, absolument nécessaire. Il l’est d’autant plus que la réduction à marche forcée des déficits, cumulée avec les allégements des cotisations des entreprises, pèse à la fois sur le pouvoir d’achat des ménages et sur l’investissement public.
Les ménages ont vécu dans ce premier temps de la législature une hausse de la fiscalité. Certaines mesures étaient de l’ordre de la justice sociale, je pense notamment à la barémisation des revenus du capital ou à la création d’une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu. Ces mesures, nous les avons soutenues et nous avons même regretté que certaines n’aillent pas assez loin. Cependant, d’autres ont touché les ménages plus modestes : le gel du barème, la suppression de la demi-part pour les personnes isolées, la hausse des cotisations retraite ou la hausse de la TVA.
Les ménages, qui ont déjà subi les hausses d’impôt, vont à présent subir le gel des prestations sociales. Les mesures que vous avez annoncées hier, notamment le non-report de la revalorisation des retraites jusqu’à 1 200 euros et le respect de la mise en œuvre du plan pauvreté, vont dans le bon sens, mais faut-il se réjouir outre mesure qu’on ne dégrade pas plus encore la situation des plus précaires dans notre pays ? Les ménages continueront dans leur ensemble à être affectés, notamment au travers du gel de la revalorisation des allocations et des retraites.
Et encore cet effort pourrait-il être compris s’il était équivalent pour les entreprises et pour les ménages. Mais quand les entreprises bénéficient de 30 milliards d’allégements, les ménages modestes eux ne pourront espérer bénéficier que de 5 milliards. Cet effort pourrait également être compris s’il était mis au service d’un projet. Mais quel est aujourd’hui le projet pour la France ?
Nous écologistes, nous vous proposons depuis le début de la législature de travailler à un projet, celui de la transition écologique. Cela consiste à laisser à nos enfants une planète vivable où l’alimentation est saine, où l’on ne sacrifie pas la santé sur l’autel de la surconsommation, où l’air est respirable, où l’on ne subit plus, sans rien faire, des événements climatiques violents répétés, où l’on prépare l’économie de demain, une économie qui n’est pas dépendante de ressources de plus en plus rares, comme le pétrole ou l’uranium.
Pour cela, il faut une politique d’investissement. Or, nous l’avons dit, cette politique d’austérité ne nous laisse pas les marges de manœuvre nécessaires pour investir. Et il ne peut y avoir de transition écologique sans investissement public. Ce n’est pas le seul outil à notre disposition, nous devons aussi développer les normes et les incitations fiscales, mobiliser l’épargne privée, mais il est de la responsabilité des pouvoirs publics de faire des investissements aujourd’hui pour préparer l’économie de demain, des investissements qui sont et seront en grande partie rentables.
Que constate-t-on depuis deux ans ? Que la priorité absolue donnée à la réduction des déficits, cumulée aux allégements de charges des entreprises, a signé l’arrêt de toute politique d’investissement écologique. Alors qu’en 2009 et 2011, au cœur de la crise, l’État consacrait encore 1,4 milliard d’euros aux projets de transports collectifs, en 2014, le troisième appel à projets a été annulé, signant ainsi l’arrêt du soutien de l’État au développement de la mobilité durable. Il ne s’agissait pourtant que de 450 millions d’euros.
Si nous voulons atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé d’isoler 500 000 logements par an, si nous voulons développer les énergies renouvelables, notamment l’éolien off-shore et le solaire photovoltaïque, nous avons besoin d’investissements. Et nous vous le répétons inlassablement, ces investissements seront fortement créateurs d’emplois : 330 000 d’ici à 2030 selon les estimations du débat national sur la transition énergétique. C’est l’un des chemins de la sortie de crise, et ce programme de stabilité ne nous permet pas de le suivre.
La troisième réserve que nous exprimerons à l’égard de ce programme de stabilité porte sur la nature des économies que vous proposez. Autant nous sommes d’accord pour dire que des économies sont possibles et nécessaires, autant les mesures que vous proposez, je pense notamment au gel des prestations sociales, nous paraissent n’être que des économies de court terme alors que des réformes de long terme, des réformes réellement structurelles en définitive, sont nécessaires.
Je citerai deux pistes parmi de nombreuses possibles :
La première serait le désengagement de la dissuasion nucléaire dont le coût total est de 3,5 milliards et dont la simple suppression à court terme de la composante aéroportée permettrait d’économiser 300 millions d’euros ;
La deuxième, plus importante encore, serait une réforme de l’assurance maladie, marquée par le passage d’une politique de soins à une politique de santé, en particulier une politique de prévention. Le surcroît de dépenses médicales engendré en six ans par la hausse des cancers, du diabète et des maladies cardio-vasculaires, l’évolution de la population une fois prise en compte, a été en France de 9,9 milliards d’euros, soit un montant nettement supérieur au déficit actuel de l’assurance maladie. La crise de la Sécurité sociale est donc en grande partie une crise sanitaire. L’enjeu principal de l’assurance maladie ne doit-il pas être d’endiguer cette explosion des maladies chroniques qui touchent toutes nos familles et grève le déficit des comptes sociaux ? Au lieu de cela, vous nous proposez des économies de court terme qui vont toucher les prestations sociales et les collectivités territoriales.
S’agissant de ces dernières, nul ne nie que des économies peuvent et doivent être réalisées dans certaines d’entre elles. Les écologistes sont d’ailleurs les premiers défenseurs de la simplification des échelons territoriaux et l’objectif qui nous réunit tous est la meilleure efficacité de la dépense publique. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les collectivités sont aujourd’hui le premier moteur de l’investissement public en France, un investissement dont les Français ont besoin car c’est leur qualité de vie quotidienne qui est en jeu : transports collectifs, équipements sportifs et culturels, centres sociaux, maisons de quartier, accueil de la petite enfance. Or le gel des dotations aux collectivités territoriales entre 2011 et 2013 se traduit dès aujourd’hui par un recul de leurs investissements, qui devrait s’élever à 5,6 % en 2014. Comme les collectivités portent 70 % de l’investissement public, cela signifie qu’il y aura un recul de 3,9 % de l’investissement public en France en une seule année. Pourtant, dans ce programme de stabilité, vous nous proposez,non plus un gel mais une baisse de ces concours financiers de l’État aux collectivités territoriales, de 1,5 milliard en 2014, puis de 11 milliards entre 2015 et 2017. Selon une étude récente de la Banque Postale, le recul des investissements des collectivités locales pourrait atteindre 35 % en 2017.
Enfin – et c’est peut-être le point le plus important pour nous, écologistes – ce programme de stabilité, tel que vous nous le proposez, n’est pas compatible avec notre projet européen.
La politique d’allégements de charges pour les entreprises que vous souhaitez mettre en œuvre n’est pas faite pour concurrencer nos amis indiens ou chinois. Vous le savez, un salarié indien gagne en moyenne 28 fois moins qu’un salarié français, et le pacte de responsabilité ne représentera qu’une baisse de 4 % du coût du travail. Non, ce que vous engagez là, c’est une compétition contre nos partenaires européens, une course à celui qui aura le coût du travail le plus faible pour grappiller quelques parts de marché.
M. Alain Bocquet. C’est vrai !
Mme Eva Sas. Avec ce pacte, nous rentrons dans une compétition déflationniste contre nos partenaires européens. Est-ce là le projet que nous avons pour l’Europe ? La compétition de tous contre tous ? La voix de la France ne devrait-elle pas s’élever au contraire en Europe pour demander l’assouplissement de cette politique d’austérité généralisée et l’harmonisation sociale à la hausse pour éviter le dumping social intra-européen ?
En conclusion, vous l’avez compris, monsieur le Premier ministre, nous ne pourrons soutenir votre programme de stabilité : parce que le rythme de réduction des déficits que vous nous proposez pèse de façon trop lourde sur l’emploi ; parce qu’il ne nous laisse pas de marges de manœuvre pour financer des mesures en faveur des plus modestes et les investissements nécessaires à la transition écologique ; parce que notre projet européen, ce n’est pas et ce ne peut pas être, la compétition déflationniste. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
Source : http://www.laurence-abeille.fr/programme-de-stabilite-un-vote-contre/