Biodiversité : avant qu’il ne soit trop tard…

Le projet de loi sur la Biodiversité sera examiné en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du 16 mars prochain, soit près de 9 mois après son examen en commission. Ce délai anormalement long témoigne du peu d’intérêt dont fait l’objet la biodiversité, alors même que, lors de la conférence environnementale en 2012, le président de la République ambitionnait de faire de la France un pays exemplaire en matière de biodiversité.

Le tout récent rapport de l’Agence européenne de l’environnement rappelle que l’érosion de la biodiversité est dramatique et qu’agir avec force et conviction est urgent. Si une politique ambitieuse n’est pas menée rapidement, c’est près d’un tiers des espèces vivant sur terre qui pourrait avoir disparu d’ici la fin du siècle, et cela entièrement de la faute de l’homme.

Le mot même de « biodiversité » est mal compris, utilisé pour parler de tout et de rien, de choses « diverses ». La définition a évolué, voici celle qui est proposée par les principales ONG compétentes dans ce domaine :

« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, l’ensemble des organismes vivants ainsi que les interactions qui existent, d’une part, entre les organismes vivants eux-mêmes, et, d’autre part, entre ces organismes, leurs habitats naturels et plus globalement leurs milieux de vie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, ainsi que celles des écosystèmes. »

Nous aurons un débat en séance sur cette définition, celle proposée dans le texte issu de la commission correspond à l’article 2 de la Convention sur la diversité biologique qui date de 1992, donc de plus de 20 ans… Elle omet les dernières avancées scientifiques, à savoir la notion d’interactions, primordiale pour expliquer le fonctionnement dynamique de la biodiversité, dont la qualité de notre avenir dépend.

C’est la survie de l’homme et de nos sociétés qui est menacée. Sans biodiversité, pas d’agriculture, sans biodiversité, pas d’eau, pas d’air, sans biodiversité pas de vie. Et l’homme n’est qu’un maillon de cette chaîne du vivant sur terre et ne peut pas s’en détacher. C’est avec notre propre survie que nous jouons.

Alors, qu’apporte ce projet de loi ? Beaucoup de choses, et peu à la fois. Beaucoup, car cette loi est la première grande loi sur la nature depuis celle de 1976. Peu, car cette loi est a minima et n’est pas suffisante pour réellement freiner l’érosion de la biodiversité. Mais on retiendra que cette loi va globalement dans le bon sens.

Le projet de loi se veut ambitieux dans les propos :

  • nouvelle définition de la biodiversité qui tient compte de son caractère dynamique et des interactions entre les écosystèmes ;
  • instauration et hiérarchisation du principe Eviter-Réduire-Compenser (ERC) : dans le cas de projets ayant un impact sur la biodiversité, on évite de détruire la biodiversité, puis on réduit les atteintes que peuvent engendrer les projets, puis, en dernier recours, on compense la biodiversité dégradée ;
  • Clarification des différents comités œuvrant dans le domaine de la biodiversité avec d’un côté le comité national de la biodiversité – instance sociétale sur le modèle du Conseil national de la transition écologique – et de l’autre le Conseil national de protection de la nature – instance scientifique.

Des propositions fortes portées notamment par les écologistes restent pourtant absentes comme le principe de non-régression du droit de l’environnement, qui permettrait d’éviter que soient prises des décision nuisibles pour l’environnement – comme par exemple le fait d’augmenter la capacité des élevages porcins au mépris des impact environnementaux pourtant avérés.

Plus grave, des dispositions aberrantes ont été adoptées en commission, comme celle reconnaissant comme grand principe du droit de l’environnement le principe de « complémentarité entre l’agriculture et l’environnement », conférant à l’agriculture un rôle a priori bénéfique dans la préservation de la biodiversité. Une proposition émanant évidemment des agriculteurs – le lobby de l’agro-alimentaire est, on le sait, puissant. Mais quand on sait que l’une des causes principales de la perte de biodiversité est le changement climatique et que l’élevage est responsable de 18% des émissions de gaz à effet de serre, quand on sait que nos écosystèmes sont contaminés par les pesticides agricoles, quand on sait que la monoculture intensive dopée aux pesticides détruisent toute vie dans les sols, quand on connaît les problèmes d’algues vertes dont souffre la Bretagne à cause des nitrates déversées par les exploitations porcines, on ne peut que s’opposer avec vigueur à cet ajout et demander sa suppression. Nous savons bien qu’il y a des pratiques agricoles – biologiques et biodynamiques – qui respectent la biodiversité. Mais si les pratiques changent doucement, reconnaître à toute l’agriculture et donc aussi à l’agriculture polluante et intensive un rôle bénéfique dans la préservation de la biodiversité, est aberrant et contraire à nos fondamentaux.

L’un des grands projets de ce texte est la création de l’agence française pour la biodiversité (AFB), agence annoncée en grande pompe par le Président de la République lors de la conférence environnementale de 2012.

Cette agence devrait voir le jour au 1er janvier 2016, mais si sa création est une bonne chose, l’architecture actuelle n’est absolument pas à la hauteur de l’enjeu. L’AFB se veut le pendant de l’ADEME dans le domaine de la biodiversité. Mais l’ADEME a bénéficié dès sa création de moyens importants et d’une stratégie ambitieuse. Rien de tel pour l’agence pour la biodiversité. Son budget n’est que le budget consolidé des agences qui la compose ; les protecteurs de la biodiversité demandaient 400 millions d’euros, ce sera 200 millions.

Surtout, la composition de l’AFB est fortement déséquilibrée en défaveur de la biodiversité terrestre : les agences principales qui composent l’AFB sont des agences œuvrant dans le domaine de l’eau et des milieux marins (ONEMA, agence des aires marines protégées).

La biodiversité terrestre est sous représentée pour une raison : le refus des chasseurs de voir l’ONCFS intégrer l’agence – alors même qu’au sein de l’office de nombreux agents le souhaitent. Les presque 1000 agents de l’ONCFS ayant des missions claires de préservation de la biodiversité terrestre resteront en dehors de l’agence française pour la biodiversité. Absurde ! Le lobby de la chasse a gagné et garde son autonomie, au détriment d’une politique efficace et ambitieuse de préservation de la biodiversité.

Quant aux dispositions pratiques concentrées dans un titre fourre-tout du projet de loi – titre V – elles vont pour l’essentiel dans le bon sens.

Un certain nombre d’outils sont créés :

  • les zones de préservation de la biodiversité ;
  • les obligations réelles environnementales, servitudes écologiques qui permettront à un propriétaire de « classer » son terrain selon certains critères environnementaux que devra respecter le locataire des terres ;
  • les zones de conservation halieutiques, même si cet outil s’apparente davantage à un outil à destination des pêcheurs qu’à un outil pour préserver la biodiversité ;
  • la mise en place d’une procédure de compensation lorsque des impacts sur la biodiversité sont occasionnés ;
  • sous l’impulsion notamment des écologistes, la possibilité de mettre en place dans les documents d’urbanisme des espaces de continuités écologiques, afin de favoriser la circulation des espèces. La rupture des continuités écologiques est particulièrement néfaste pour la préservation de la biodiversité ;
  • sous l’impulsion des écologistes encore, la création d’un statut d’espèce particulièrement importante à l’équilibre des écosystèmes. Entre les espèces classées « nuisibles » – mauvais terme modifié par le projet de loi – et les espèces protégés, rien n’existe. Les espèces protégées le sont pour en raison de leur probable disparition et pour leur valeur patrimoniale : ce sont le plus souvent des espèces symboliques dont la survie sur notre territoire n’est pas garantie. Or certaines espèces encore nombreuses ne font pas l’objet d’une protection spécifique alors que leur disparition serait dramatique : on peut notamment penser aux pollinisateurs.

Les écologistes ont amené dans le débat plusieurs sujets d’importance lors de l’examen en commission et continueront de le faire en séance publique : la question animale et notamment l’impact de la chasse sur la biodiversité, la biodiversité en milieu urbain et l’impact de la publicité – puisque le projet comprend une partie relative à la préservation des paysages.

Nous avons déjà obtenu des avancées en commission : les sanctions pénales en cas d’actes de cruauté qui s’appliquent actuellement pour les animaux domestiques s’appliqueront désormais pour les animaux sauvages, la chasse à la glu sera interdite ainsi que la chasse en période de reproduction.

Mais d’autres propositions relatives aux impacts des activités cynégétiques sur la biodiversité ont été rejetées, comme l’interdiction de la chasse de nuit ou la réalisation d’études sur l’impact des activités cynégétiques en espace Natura 2000 – au prétexte qu’il ne fallait pas rouvrir le débat sur la chasse qui avait déjà eu lieu… il y a 15 ans ! De même, la proposition d’interdire les nouvelles acquisitions d’animaux sauvages dans les cirques n’a pas été adoptée.

Les écologistes feront de nouvelles propositions en séance publique notamment sur l’interdiction des delphinariums, dont l’impact sur la biodiversité est certain puisque les reproductions des cétacés en captivité étant très difficiles, les prélèvements d’animaux sauvages sont la règle.

Le projet de loi est vide sur la question de la biodiversité urbaine. Pourtant, si la biodiversité se trouve essentiellement dans les territoires ruraux, la biodiversité et donc les services écosystémiques ont un rôle très important à jouer en ville : la perméabilité des sols permet une meilleure épuration des eaux, les espaces verts favorisent la qualité de l’air, la végétalisation limite l’effet d’ilot de chaleur lors des canicules, etc. Des dispositions comme la prise en compte de la biodiversité dans l’adaptation des villes au changement climatique, la végétalisation des toits, la lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des terres sont essentielles et seront à nouveau défendues par les écologistes.

Dernier sujet moins directement lié à la biodiversité mais aux paysages : la publicité. Préserver la biodiversité et nos paysages passe par une lutte contre l’invasion des affichages en dehors des agglomérations et des affichages géants qui fleurissent depuis peu. Une réelle agression dont l’interdiction a reçu pour l’instant une fin de non-recevoir.

Tout cela sans compter sur des propositions que les écologistes défendent inlassablement et qui le seront encore : interdiction des OGM, interdiction des pesticides néonicotinoïdes, interdiction du chalutage en eau profonde.

Rendez-vous lors des débats dans l’hémicycle à partir du 16 mars !

 

source : http://www.laurence-abeille.fr/biodiversite-avant-quil-ne-soit-trop-tard/

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