Présentation de la saison culturelle

La présentation de la saison culturelle est à juste titre un moment festif et attendu. Et je crois que le programme de la saison qui va vous être présenté ce soir est particulièrement riche , faisant la part belle à la diversité des modes d’expression artistique, à la diversité des cultures et à la création contemporaine. Et je voudrai chaleureusement remercier toute l’équipe du service culturel pour le travail qu’elle accomplit.

Je ne voudrai pas gâcher la fête, mais il faut le dire , ce travail  se déroule dans un contexte de plus en plus difficile. Nous vivons aujourd’hui dans un monde dangereux,  plus dangereux qu’hier. Nous avons connu en France cette année  des drames terribles qui ont touchés des artistes que nous aimions , soucieux de la liberté d’expression, qui ont touchés certains de nos concitoyens de confession juive, parce qu’ils étaient juifs et plus généralement nous voyons monter un peu partout des forces obscures, au Moyen Orient bien sûr, mais aussi chez nous en Europe, en Hongrie par exemple mais même en France malheureusement ou le nationalisme, le populisme et la xénophobie semblent chaque jour gagner du terrain. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant la guerre et la misère frappe à nos portes et ne rencontrent pas toujours l’accueil qu’il seraient en droit d’attendre du pays des droits de l’homme. Nous vivons un siècle dangereux  également car nous sommes à la croisée des chemins en matière d’environnement. Nous savons désormais que les activités humaines sont responsables de dérèglements climatiques importants et que si nous ne changeons pas très rapidement de modèle de développement les conséquences pour la vie sur terre seront dramatiques et irréversibles.

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Dans le domaine qui nous rassemble ce soir, celui de la culture , on parle de désastre  industriel. Le mot malheureusement n’est pas trop fort .Car face à la baisse des dotations financières et au désengagement de l’Etat, l’effet ricochet a été quasi immédiat. Les réductions budgétaires s’enchaînent dans toutes les territoires et souvent frappent de plein fouet les activités culturelles. Plus de 200 festivals ont été annulés en France en 2015. On chiffre entre 10 000 à 15 000 le nombre des représentations en moins sur l’ensemble du territoire. Nous sommes dans une situation jamais connue en terme de perte d’emplois artistiques. Nous assistons à la mort de dizaines de Cie de danse, de théâtre , de groupes musicaux et bien sûr ce sont les plus fragiles, donc souvent les plus jeunes qui disparaissent en premier. Je voudrai citer quelques lignes d’une récente interview d’un comédien Fontenaysien célèbre, Philippe Torreton qui dit : «  Je souscrit tout à fait à l’expression « d’accident industriel ». Et ça m’inspire de la colère et de l’incompréhension. Je trouve qu’économiser sur la culture, c’est tellement bête, inintelligent, c’est presque criminel. On a  beaucoup parlé du vivre ensemble après les attentats du début de l’année, mais aucune voix forte ne s’est élevée pour dire que le vivre ensemble , c’est d’abord et avant toute chose la culture. On a parlé de tout, sauf de ça. On parle de vidéo surveillance, d’instruction civique à l’école, mais personne n’a parlé de culture. Pour moi, dit-il, c’est l’arme douce mais efficace du vivre ensemble. Tout notre maillage culturel, tous ces festivals, toutes les associations, compagnies, collectifs qui passent leur temps et leur énergie à brasser les cultures, à forcer l’humain à se regarder, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, et ce que l’autre peut apporter.  C’est ça la culture ! »

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Que feront les créateurs sans les moyens de travail et d’expression ?. Comment faire vivre des théâtres, produire des spectacles, si l’état n’a pour seule réponse que de réduire les moyens ? Et la lecture ? Et l’apprentissage de la musique ?, indispensables dès le plus jeune âge pour réduire les inégalités à l’heure où celles ci s’accroissent. Oui , l’engagement des politiques publiques est indispensable. Pour nous la culture est une priorité absolue. Nous devons l’affirmer avec force. Nous devons parier sur l’intelligence, la création, remettre en cause les idées reçues. Devant la faillite des maîtres à penser libéraux qui mènent nos sociétés dans le mur, il faut remettre les fous au cœur de la société, ceux qui disent des vérités aux rois et aux citoyens. Remettre l’imagination au pouvoir.

 

Je voudrai conclure avec un extrait de l’intervention  d’une des voix les plus fortes de notre histoire, celle de V.Hugo en 1848 devant l’Assemblée nationale et qui a mon sens reste d’une brûlante actualité car c’est en pleine problématique de réduction budgétaire que Victor Hugo s’exprime. Et voici ce qu’il dit :

 

« Personne n’est plus que moi pénétré de l’urgente nécessité d’alléger le budget. J’ai déjà voté et je continuerai de voter la plupart des réductions proposées, à l’exception de celles qui me paraîtraient tarir les sources même de la vie publique et qui présenteraient une faute politique certaine. Et c’est dans cette dernière catégorie que je range les réductions proposées sur ce que j’appellerai le budget spécial des lettres , des sciences et des arts, et quel moment choisit –on  pour le faire ? Le moment où elles sont plus nécessaire que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir. Car le grand péril de la situation actuelle, c’est l’ignorance. L’ignorance qui nous déborde, qui nous assiège, qui nous investit de toutes parts. C’est à la faveur de l’ignorance que certaines doctrines fatales passent de l’esprit impitoyable des théoriciens dans le cerveau des multitudes. Et c’est dans un pareil moment , devant un pareil danger, qu’on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but de combattre et de détruire l’ignorance. On pourvoit à l’éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours. Quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire dans le monde moral et qu’il faut allumer des flambeaux dans les esprits ? Je souhaite passionnément l’amélioration du sort matériel des classes souffrantes. C’est là le grand, l’excellent progrès vers lequel nous devons tous tendre. Mais il faut également relever l’esprit de l’homme, le tendre vers le beau, le juste, le vrai, le désintéressé et le grand. C’est là seulement que vous trouverez la paix de l’homme avec lui même et par conséquent la paix de l’homme avec la société. Pour arriver à ce but, il faudrait multiplier les écoles, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Les lieux où l’on s’instruit, où l’on se recueille, en un mot , il faudrait faire pénétrer de toutes part la lumière dans l’esprit du peuple ; car c’est par les ténèbres qu’on le perd. L’époque où vous êtes est riche et féconde ; ce ne sont pas les intelligences qui manquent, ce ne sont pas les talents. Ce qui manque , c’est l’impulsion sympathique, c’est l’encouragement enthousiaste d’un grand gouvernement. Je voterai contre toutes les réductions que je viens de vous signaler et qui amoindriraient l’éclat utile des lettres, des arts et des sciences. Vous êtes tombés dans une méprise regrettable, vous avez cru faire une économie d’argent, c’est une économie de gloire que vous faites. Je la repousse pour la dignité de la France, je la repousse pour l’honneur de la République. »

 

Marc Brunet

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